Gaza : Dynamiques de pouvoir et restructuration du Proche-Orient
Compte rendu de la conférence-débat du 12 juin 2025
Joseph Maïla, analyste géopolitique nous a livré un exposé détaillé des dynamiques de pouvoir au Proche-Orient, mettant en lumière le rôle central des États-Unis, la marginalisation progressive de la Russie, la tentative d'influence de la Chine, et la recomposition des rapports de force régionaux autour de la crise de Gaza.
La conférence a exploré les dynamiques géopolitiques complexes et les violences au Proche-Orient, en se concentrant particulièrement sur la crise de Gaza, aujourd’hui centrale, et ses vastes répercussions. Un sujet brûlant dont l'actualité de ces derniers jours ne laisse pas présager de résolution immédiate... (la conférence a eu lieu quelques heures avant l’offensive militaire israélienne sur l’Iran).
I. Les États-Unis : acteur central et politique transactionnelle
Les États-Unis sont décrits comme la seule puissance capable de dialoguer avec tous les acteurs de la région, y compris l'Iran et la Syrie. Leur présence est omniprésente dans les processus diplomatiques concernant Gaza, le Liban (où ils supervisent la résolution 1701), l'Iran, la Syrie et le Yémen. Cette approche relève de la "realpolitik", illustrée par la réception par Donald Trump de l’actuel dirigeant de la Syrie (ancien numéro 2 de Daesh contre lequel il s’était ensuite retourné), Al-Joulani (Ahmed Chara), qualifié de "leader de premier ordre" après l’annonce d’un investissement américain en Syrie de 3,5 milliards de dollars.
La politique américaine sous Trump est caractérisée par une approche imprévisible et une "diplomatie sans diplomate", purement transactionnelle, consistant à "donner un coup de pied dans la fourmilière" pour restructurer le chaos.... Un exemple notable est le retrait de Trump de l'accord sur le nucléaire iranien (JCPOA) en 2018, ce qui a permis à l'Iran d'enrichir l'uranium au-delà des limites autorisées. Malgré cette approche cynique, les États-Unis proposent une voie de normalisation à travers les Accords d'Abraham (2020), présentés comme la seule option viable pour la paix et le commerce, bien qu'ils ignorent les peuples. Trump a également montré sa capacité à se détacher d'Israël en négociant secrètement la libération d'otages israélo-américains, en initiant des pourparlers directs avec l'Iran, en appelant à la fin de la guerre à Gaza, et en facilitant le dialogue entre Israël et Ahmed Chara.
II. Le déclin des autres puissances
Plusieurs acteurs majeurs de la région ont vu leur influence s'éroder, laissant un vide que les États-Unis semblent être les seuls à pouvoir combler :
La Russie : Autrefois une puissance considérable en Syrie, ayant sauvé le régime de Bachar el-Assad en 2015, la Russie a connu une débandade magistrale. Le retrait de ses troupes de Syrie est qualifié de "catastrophe majeure", avec l'utilisation de "bateaux voyous" pour transporter les équipements dans ses ports. La Russie a perdu le régime syrien et a dû négocier la protection de ses bases avec Ahmed Chara. La guerre en Ukraine l'a contrainte à se désengager du Moyen-Orient, menant à une "défaite totale" symbolisée par l'isolement de la Syrie dans le conflit de Gaza.
La Chine : La Chine a cherché à étendre ses "routes de la soie" au Proche-Orient, signant un accord inédit avec l'Arabie Saoudite en 2022 et orchestrant un rapprochement entre l'Iran et l'Arabie Saoudite.... Cependant, cette avancée chinoise a "disparu" dès que les États-Unis, sous l'impulsion de Trump, ont décidé d'investir le Conseil de coopération du Golfe.
Autres acteurs régionaux : La Syrie et le Liban ont été "pacifiés" militairement par Israël. La Syrie n'a d'ailleurs "plus d'armée, plus de chars, plus d'arsenal". L'Égypte et la Turquie sont également mentionnées comme n'ayant plus de rôle significatif ou étant temporairement en retrait.
III. La crise de Gaza : un catalyseur de crises et une stratégie israélienne radicalisée
La guerre de Gaza est identifiée comme l'événement majeur qui cristallise l'ensemble des crises du Moyen-Orient et "restructure le monde arabe à partir de la crise palestinienne". Elle remet en lumière la pertinence de la question palestinienne, que beaucoup pensaient marginalisée.
Une guerre aux multiples fronts : Israël mène cette guerre sur plusieurs fronts : Gaza, la Cisjordanie (avec des incursions quotidiennes depuis le 7 octobre), le Liban (Hezbollah), l'Irak et le Yémen (Houthis)....
La "défaite cognitive" de la stratégie iranienne : La "stratégie Souleimani" iranienne, qui visait à encercler Israël avec des fronts simultanés pour le faire s'effondrer, a abouti à l'inverse, conduisant à une défaite stratégique majeure.... Le discours du Hezbollah qualifiant Israël de "plus fragile qu'une toile d'araignée" est considérée comme une "défaite cognitive" et une "mauvaise nomination des choses" ayant conduit à une sous-estimation de la résilience israélienne.
La stratégie israélienne : La riposte israélienne est jugée disproportionnée. La capacité d'Israël à maintenir une armée de conscrits se battant sans discontinuer pendant 20 mois est soulignée comme un phénomène sans précédent, expliquée par le traumatisme profond du 7 octobre. Les objectifs officiels d'Israël, comme la libération des otages (seuls 3 ou 4 libérés par commando sur 251) et l'éradication du Hamas (jugée utopique), sont remis en question. Le véritable objectif d'Israël serait de détruire l'idée de la Palestine elle-même.... La nouvelle stratégie militaire israélienne, les "Chariots de Gédéon", vise une "victoire totale", menant au contrôle de 72 à 75% de la bande de Gaza, avec le saucissonnage du territoire en cinq couloirs, le "nettoyage partie par partie" et un "travail d'éradication total".
Conséquences et perspectives : Cette stratégie a pour conséquences la réduction du territoire palestinien, le déplacement des populations du nord au sud de Gaza, et la déportation « d'un million de Palestiniens de Gaza supposément vers la Libye », rappelant la "politique du transfert", pour le dire autrement, un véritable nettoyage ethnique.... La situation actuelle créera "des barils de haine" pour le futur.
Leadership israélien et l'Iran : Le gouvernement israélien, sous l'influence de l'extrême droite, n'a produit aucun document pour penser "le jour d'après" la guerre, et la solution à deux États est rejetée par 78% des Israéliens sondés. L'Iran et son programme nucléaire, perçu comme une "Shoah potentielle", sont devenus une obsession pour Israël.
IV. Les sociétés arabes : fragmentation et résilience quotidienne
Les sociétés arabes, bien que dotées d'une vitalité intellectuelle (universitaires, romans, pétitions), sont souvent "éclatées" et démobilisées dans leur ensemble.... Elles sont caractérisées par des stratégies de survie quotidienne face à l'absence d'État et à l'oppression.... En l'absence de l'État, les communautés se recomposent au niveau local, familial et communautaire (le clan), où la mosquée/l'église « fait office d’État » pour régler les conflits et assurer la survie.
L'expérience relaté par Véronique Nahum-Grappe, tout juste de retour de Syrie, révèle une vie quotidienne marquée par des services publics défaillants (électricité, eau, feux rouges), une pollution extrême et une usure généralisée, mais aussi une ingéniosité et une résilience remarquables des populations.... Une "fatigue" profonde résulte des décennies de tyrannie et d'avilissement, mais une forte identité syrienne persiste, malgré un faible sens de la citoyenneté.... La diaspora joue un rôle important en apportant des images et des idées de l'extérieur. La possibilité d'une déportation d'un million de Palestiniens, qualifiée de nouvelle "Nakba", interroge la réaction future des sociétés arabes, surtout si Gaza devient inhabitable.
V. La diplomatie européenne : une catastrophe
La diplomatie européenne au Moyen-Orient est qualifiée de "catastrophe". Elle manque de constance et de lignes directrices claires, notamment sur la Palestine, où elle a exprimé "tout et son contraire". Il est dénoncé un "deux poids deux mesures" par rapport à l'Ukraine. La France, malgré une expertise et un intérêt considérable pour les sociétés arabes, est incapable d'agir seule et se noie dans des cadres européens où elle n'a aucune maîtrise.... Son influence décline, même dans le commerce des armes. La division au sein de l'Union européenne sur la reconnaissance de l'État palestinien (12 pays reconnaissent, 15 non) illustre son désordre et affaiblit son influence.... (ndr : la conférence a eu lieu avant l’annonce par la France de sa prochaine reconnaissance de l’Etat palestinien).
Conclusion générale
Le Moyen-Orient est actuellement marqué par la brutalité, le cynisme et l'imprévisibilité.
Les États-Unis sont la seule puissance influente, malgré une diplomatie souvent et étroitement "transactionnelle". La stratégie iranienne a échoué face à la détermination israélienne, nourrie par le traumatisme du 7 octobre 2023. Israël semble dominer la situation régionale par un rapport de force militaire favorable, mais sans perspective politique, ce qui est lourd de risques. La crise de Gaza restructure la région autour de la question palestinienne, avec des implications humanitaires et géopolitiques profondes, notamment la politique de "nettoyage ethnique" de Gaza et la perspective d’annexion de la Cisjordanie. Face à cette réalité, l'Europe est en retrait et fragmentée, incapable de jouer un rôle constructif et cohérent. Les Accords d'Abraham et les négociations avec l'Iran sont les seules pistes de solution, mais elles sont jugées fragiles.